Auguste Laloux
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Pa totès strwètès vôyes dans l’oeuvre d’Auguste Laloux(Une traduction française de cette oeuvre est publiée à une autre page) Communication de Monsieur Bernard Louis le samedi 24 octobre 2009
Mesdames, Messieurs, Pa totès strwètès vôyes dans l'oeuvre d'Auguste Laloux d'un point de vue chronologique Découpé en 49 feuilletons, le roman "Pa totès strwètès vôyes" ('Rien que par des chemins étroits'), a paru du 21.10.1969 au 27.10.1970 dans le journal Vers l'Avenir (Namur) sous la rubrique hebdomadaire Chîjes èt Pasquéyes ('Veillées et aventures plaisantes'). Sous cette même rubrique, Auguste Laloux avait publié, découpé en 48 épisodes, Li Curè d' Sautau du 15.08.1967 au 23.07.1968. Li p'tit Bêrt, le chef-d'oeuvre de Laloux, était sorti de presse le 17 juin 1969, par ailleurs 1. Mais il avait été achevé le 30 avril 1966, scripsit l'auteur. Lès Soçons 2, avait été achevé au mois d'août 1966, scripsit l'auteur. Quant à Mi p'tit viyadje dès-ans au long 3, Auguste Laloux écrira qu'il l'achevait le 9 août 1971. Concernant leur composition, la chronologie des oeuvres maîtresses achevées serait dès lors la suivante : Li p'tit Bêrt (1966), projet ébauché avant 1940, d'après Maurice Piron 4, Lès Soçons (1966), OEuvres achevées, dis-je, car Laloux travaillait à la fin de sa vie à un roman qui devait couvrir grosso modo les 40 premières années du XXème siècle. Le manuscrit déposé à la SLLW, comporte plus de 500 pages et couvre seulement la période 1900-1905. Victor George parle à son propos de 'perfection' 5. La publication en est attendue avec impatience, écrit de son côté Jean Lechanteur 6. Oeuvres maîtresses, car il convient d'ajouter une soixantaine de récits, dont certains de très grande qualité, parus dans Les Cahiers wallons et sous la rubrique Chîjes èt Pasquéyes.
Le titre et le sujet Monmon, enfant trouvé et adopté jadis par une paysanne de Dorinne, rentre de captivité en Allemagne, à la Libération. Celle qu'il aime, Agnès, a épousé Djan, marchand de vaches, un " vieux beau " sur le retour. Djan avait avancé une importante somme aux parents de la jeune fille. Celle-ci croyait Monmon mort à la guerre ; par son mariage, elle effaçait les dettes de sa mère, devenue veuve lors de l'exode. Lorsque Monmon sort de la gare de Dinant, un Père blanc, officiant comme curé dans la région, le prend en charge. Il lui trouve notamment une place de garde aux Eaux et Forêts. Dans le passage suivant, le jeune homme parle de son bienfaiteur : Monseû l' Curè ni m' dimande jamaîs si ça va. Mins d'one sôte, i vint à l'ôte. Come s'i causeut li tot seû. Mi, ça m' mousse ci qu'i dit. I gn'a rin qui s' pièd, di nos djôyes, s'apinse li, si wêre qui ç' seûye ; co mwins. di nos pwin.nes. I gn'a vélà pad'zeû Onk qui n' rovîye rin. Qui nos mine sovint pa tos catoûs, èwou qu'I nos vout. Dji sondje adon : waîte, s'i n'aveut nin v'nu à l' gâre di Dinant ci djoû-là… Djè lî di. I faît chonance di rin, ou bin, c'èst co li qu'î a l' pus gangni, di-st-i ; jusqu'à ci, i n'aveut jamaîs pont ieû d' soçon. Vos vèyoz bin, don, come ça va mwints côps. Afîye on s' sint did'seûlè, c'è-st-adon qui l' Bon Diè èst l' pus près. Dès djoûs qui rin n' va. Èt pont d' raîson d'è mia rèche pus taurd. Taîjoz-vos. Nos n'èstans nin quand min.me tot seûs, quand ci n' sèreut… Choû ! li nêt chûltéye cor on pau dins lès opes daus-aubes. I gn'a pus qui l' nêt. C'èst tot por ôte tchôse. Choû adon, sur one basse coche, djondant on cléria, i s' rèwîye on tchant d' rossignol ; i sone, i rôle dès vraîs pièles, ronds èt clérs, pa-t't-avau l' bwès. On tchant qui lès djins choûtint dèdjà èt n' n'èstins nin co ; qu'on choûtrè cor après nos… (21)7
Monsieur le Curé ne me demande jamais si cela va. Mais d'un sujet de conversation, il en vient à un autre. Comme s'il parlait tout seul. Moi, ce qu'il dit, cela entre en moi. Il n'y a rien qui se perd de nos joies, d'après lui, si peu que ce soit ; encore moins de nos peines. Il y en a là au-dessus Un qui n'oublie rien. Qui nous conduit souvent rien que par des détours là où Il nous veut. Alors je pense : regardez, s'il n'était pas venu à la gare de Dinant, ce jour-là… Je le lui dis. Il fait semblant de rien, ou bien il répond que c'est encore lui qui y a gagné le plus ; jusqu'à présent, il n'avait jamais eu d'ami. Vous voyez bien comme les choses se passent, certains jours. Parfois on se sent esseulé ; c'est alors que le Bon Dieu est le plus proche. Des jours où rien ne va. Et pas de raison d'en sortir mieux plus tard. Taisez-vous. Nous ne sommes pourtant pas seuls, quand ce ne serait… Écoutez ! La nuit se fait entendre encore un peu au sommet des arbres. Il n'y a plus que la nuit. C'est fini pour le reste. Écoutez alors, sur une branche basse, à côté d'une clairière, un chant de rossignol se réveille ; il sonne, il roule de vraies perles, rondes et claires, à travers la forêt. Un chant que les gens écoutaient déjà bien avant nous ; qu'on écoutera encore après nous…
La Communion des Saints 8 Agnès avait promis à Djan -qui l'avait pourtant trompée -, fidélité par-delà la mort. C'était la contrepartie exigée par son mari agonisant pour consentir à recevoir les derniers sacrements. Et quand un autre curé viendra proposer à la veuve une démarche auprès de l'évêque en vue d'annuler sa promesse, elle songera : … Is sont bin sûr pus malins qu' mi, lès curès. Mètans d'abôrd qui ça n' compte nin ci qu' dj'a promètu. Mins èst-ce qui l' Bon Diè n'a nin arindji m' vîye insi : en m' sâcrifiant po qu' l'âme da m'ome seûye sauvéye ? Il- è-st-èvôye di si mwaîje afaîre, Djan… Afîye on crwéreut bin qu' lès curès, au djoû d'audjoûrdu, vôrint toûrnè l' Bon Diè èt n'awè à fè avou Li qui po-z-arindji lès cayèts di d'ssus l' têre ; is n'ont pus lès min.mès-idéyes qui nos. Is n' sondjenut pus wêre à d' l'ôte costè, aus cis qui sont rèvôye. (44) … Ils sont sûrement bien plus malins que moi, les curés. Alors, supposons que cela ne compte pas, ce que j'ai promis. Mais le Bon Dieu n'a-t-il pas arrangé ma vie de cette façon : en me sacrifiant pour que l'âme de mon mari soit sauvée ? Il est parti dans de si mauvaises conditions, Jean… Parfois on dirait qu'à présent les curés voudraient faire changer le Bon Dieu et n'avoir à faire avec Lui que pour arranger les affaires terrestres ; ils n'ont plus les mêmes idées que nous. Ils ne pensent plus guère à l'au-delà, à ceux qui sont partis. Ce thème de la Communion des Saints était présent dans Li Curè d' Sautau, où l'Abbé Mathias concluait un marché avec le Seigneur pour que Li Crèsse " anarchisse, co pus socio qu' lès bourdeûs qu' sont aus chambes " (les menteurs qui sont à la Chambre)(5) se confesse et communie avant de mourir, ce qui se réalisera (41-42). Plus tard, le curé, arrêté par les Allemands, sera abattu par les SS. De même, dans Mi p'tit viyadje dès-ans au long, Nonîye dau Wé, qui a mené une vie de débauche et fait assassiner son fils, Victor, trouvera l'apaisement final, après la confession de son crime, grâce à l'intercession de la victime qui la sanctifie (pp. 157-158).
Monmon, lui, il est incapable de décrire son Agnès. Lorsqu'ils marchent ensemble, elle fourre sa main dans la sienne,… comme quand ils ont trottiné ensemble, gamin et fille, en partant pour l'école. Souvent, une fois qu'ils sont seuls, elle veut se faire cajoler dans ses bras. Agnès, elle, inclut cet amour dans une vision religieuse : Divant do s' mariè, quéne inocin.ne pitite fèfèye ! One crapôde qui s' mèteut cor à gngnos au pîd di s' lèt divant do s' coûtchi… Combin d' côps adon, n'aveut-èle nin sondji : Quand nos sèrans nos deûs èt dîre nos pâtèrs astok onk di l'ôte. Pwis èlle aureut stî si feume, tote lèye, come poz- achèvè leûs priéres. (14)
Avant de se marier, quelle innocente petite fifille ! Une gamine qui s'agenouillait encore au pied de son lit avant de se coucher… Combien de fois alors n'avait-elle pas pensé : Quand nous serons nous deux et que nous réciterons nos prières l'un auprès de l'autre. Puis elle aurait été sa femme, toute elle, comme pour achever leurs prières. Auparavant, Monmon, elle n'osait plus y penser. Par peur de laisser libre cours à son désir. Éviter de commettre le mal en pensées. Encore plus vite, plus facilement qu'en le commettant réellement. Et voici que Monmon est auprès d'elle. Plus près qu'il n'ait jamais été. Tel qu'il était vivant, elle n'arrive plus à se le représenter. Comme si son visage était totalement effacé ; mais il est là ; et il la touche, dirais-je, plus profondément que si leurs deux corps étaient ensemble… Dans Li p'tit Bêrt, le héros éponyme, à la fin de sa vie, repense à une confidence d'Ane, fille facile autrefois, qui décrit la même béatitude en dehors du charnel : Mins qué boneûr do bin sèpe qu'Ane nè l'aveut jamaîs rovyi. I l'oyeut co dîre… Lî dîre tot bas, en l' sèrant, qui d' s'awè vèyu voltî tote one vèspréye sins sondji à mau, ci sèreut todi por lèye lès pus bèlès-eûres di tote si vîye. (p. 163) Mais quel bonheur de savoir qu'Anne ne l'avait jamais oublié. Il l'entendait encore dire… Lui dire à voix basse, en le serrant, que de s'être aimés tout un après-midi sans mauvaise pensée, ce serait toujours pour elle les plus belles heures de toute sa vie.
Et, pour en terminer avec ce thème, dans Mi p'tit viyadje dès-ans au long, Manu fait au narrateur un aveu du même ordre à propos de sa femme lors de leur nuit de noces : … Comme on est fait, n'est-ce pas ! Ainsi, avant notre mariage, je la désirais ardemment. Nous n'aurions plus pu attendre, si on nous avait laissés seuls. Eh bien, quand je suis allé coucher avec elle, la première nuit, je suis resté à côté sans bouger. Nous nous tenions par la main. J'aurais passé toute ma vie ainsi. J'étais bien; content comme un dieu… Si Marie brusquement ne m'avait dit : " Tu ne viens pas près de moi, mon chéri ? "…
Do matin, Agnès passe su l' Plin, pad'vant l' maujon da Djan dau Molin, come on dit co. Ni t' ritoûne nin, sês. , mi fèye ! Gn'a sûr on visadje à l' finièsse. Djan lume tant qu'i veut… Saqwants-ans dèdjà qu'i kwésîye insi après l' crapôde. Nuk po mia sèpe tos lès catoûs pa-t't-avau do cwârps da l' djon.ne djin. Vî loulou ! Ossi tchôd qui l' vèra d' l'infêr…
Le matin, Agnès passe sur le Plin 9, devant la maison de Jean du Moulin, comme on le dit encore. Ne te retourne pas, ma fille ! Il y a sûrement un visage à la fenêtre. Jean épie autant qu'il voit… Ça fait déjà quelques années qu'il surveille ainsi la jeune fille. Personne ne connaît mieux que lui les courbes de tout son corps. Vieil obsédé ! Aussi brûlant que le verrou de l'enfer… Djan s'inscrit dans la lignée d'hommes d'âge mûr qui observent une jeune fille de façon relativement malsaine. Dans Li Curè d' Sautau, c'était Li Champète qui suivait Marie de ses regards et de ses assiduités: Li champète. Â l' laîd po todi ! Avou sès bwargnasses mèssadjes. I sofèle tofêr on seur rimôrd di vîye bîre. .t sès-ouy qui tirenut à êwe. Quand èle sint qu'i l' riwaîte à sto, i lî chone qu'èlle èst tote swasse. Vî marou ! Po s'è fè quite, d'on parèy, one dispoûsseléye au rwèd brès ; gn'a qu' ça. Mins c'èst dès grandeûs qu'on s' passe bin. Ostant bourè l' vèra à timps èt gripè o plantchi veûy po quand i sèrè au diâle. (17) Le garde-champêtre. Ah le dégoûtant ! Avec ses propos stupides. Il exhale toujours une sûre odeur de vieille bière. Et ses yeux qui virent à la pluie. Quand elle sent qu'il la regarde fixement, il lui semble qu'elle est toute sale. Vieux coureur de filles ! Pour s'en débarrasser, d'un pareil, une tripotée, bras tendu ; rien de tel. Mais ce sont des gestes d'orgueil dont on se passe. Autant pousser le verrou à temps et grimper à l'étage pour quand il aura déguerpi.
Ce type d'homme occupera une grande place dans Mi p'tit viyadje dès-ans au long. Djâque Malou en l'occurrence, surnommé li Mète, en raison de sa petite taille, riche célibataire et coureur de jupons patenté. Il observe la jeune Ane- Djôsèf, fille de ferme. Il en rêve au sens charnel (pp. 111-113). Les images et lès rêves obsessionnels le poursuivront jusqu'à la mort. Limitons-nous à la première apparition de la jeune fille : Tout d'un coup, la fille de l'endroit, une gamine bien bâtie pour son âge, est sortie de l'étable un bâton sous le bras ; car elle croquait sans doute des noisettes en chemin ; ou quelque chose du genre. Elle allait rechercher les vaches. Malou n'a plus rien vu d'autre. Sacré nom ! Quelle belle jeune fille ! Elle te fait voler le jupon et pousse devant elle une poitrine toute jeune, une poitrine ferme, du moins je l'imagine ! C'était la première fois qu'il l'observait si bien… Avant la guerre, les filles comme cela, aussitôt terminé à l'école ! Allez ! On décousait en vitesse un ourlet à la robe prévue pour la croissance et on l'allongeait ; un peu plus chaque année pour qu'elle tombe sur les souliers. Aujourd'hui, on a adopté des comportements bien différents. On verra bientôt leurs genoux. Tonne autant que tu veux, curé, en martelant la chaire de vérité… Malou aurait bavé en lorgnant les jambes de la fille. Tu aurais mordu dedans.
Terminons par Li p'tit Bêrt. Le chapitre … Èt quand nn-èrîrans… contient dans sa première partie des souvenirs d'amourettes peu ragoûtantes 11, écrivions-nous. Souvenirs et songes. Un personnage apparaît, celui d'une autre jeune fille, Mâre-Djôsèf da l' Payène :
Assis, rien qu'eux deux sous les buissons, des touffes de charmes. Toute écrasée sur lui, elle se laisse chatouiller, elle se fait peloter. Pour rire, elle lance la tête en arrière, les yeux presque retournés et lès lèvres toutes humides. Par moments, elle se jette sauvagement sur lui pour qu'il la prenne à pleine main, autant qu'il veut. Ils jouent comme jamais il n'a osé l'imaginer. Brusquement, a-t-il voulu l'embrasser ? Elle se précipite sur lui, elle le saisit…
Albert Maquet avait écrit ceci à propos du P'tit Bêrt, mais la citation s'applique aussi au roman qui nous occupe :
Joignons à cet avis l'hommage rendu par Lucien Léonard, peu après la mort de l'auteur : Voilà la grande leçon que nous a donnée ce Dorinnois, aussi fin lettré que connaisseur de son dialecte ". 14
Je vous remercie de votre attention. 1 Ciney, Épécé. 2 BSLLW, Tome 74, 1971. 3 BSLLW, Tome 75, 1974. 4 Anthologie de la Littérature wallonne, Liège, Mardaga, 1979, p. 506. 5 L'oeuvre en wallon d'Auguste Laloux (1906-1976), coll. Mémoire wallonne, n°4, Liège, SLLW, 1998, p. 46. 6 Histoire de la Wallonie, Toulouse, Privat, 2004, p.353. 7 Pour Pa totès strwètès vôyes et pour Li Curè d' Sautau, les numéros sont ceux des épisodes (à défaut de pagination). 8 Union de l'ensemble des fidèles vivants et morts en vertu de leur appartenance au Christ, dans une solidarité à travers l'espace et le temps. 9 ‘Le Plateau’, crête de Dorinne. 10 Celle de 14-18. 11 L’oeuvre en wallon d’Auguste Laloux (1906-1976), p.18. 12 Lieu-dit en direction de Purnode. 13 La littérature dialectale de Wallonie de 1960 à 1970, in La Vie wallonne, t. XLIV, pp. 315-316. 14 Les dialectes de Wallonie, tome 4, 1975-76, p. 135. |